Guillaume Tell et les trois Suisses: La légende et l'histoire [French]

L'historien doit-il tre un orateur ou un critique ? Voil une question pos e depuis deux ou trois mille ans, et qui ne para t pas encore tout fait r solue. Pour beaucoup d' crivains, le pass est un ma tre loquent qui fournit des mod les de vertu, de sagesse et de courage. Si le ma tre se trompe quelquefois et donne au contraire de mauvais exemples, on t che d'att nuer ses fautes et ses erreurs. On le regarde comme un p re v n rable dont les hontes m mes doivent rester cach es; malheur celui qui les d couvre celui-l , fils maudit, sera chass dans le d sert. Il faut avant tout que l'historien soit un galant homme, habile bien dire, bon citoyen, chaud patriote, croyant obstin ; si quelques doutes l'assi gent, il doit les garder pour lui, de peur d'offenser ou de nuire. Sa m thode est un credo. Qu'il ne touche pas aux traditions, m me si elles sont fausses: la patrie est b tie dessus Ainsi pensent encore beaucoup de gens, oubliant l'injonction faite par Cic ron l'histoire: qu'elle se garde bien d'oser dire quelque chose de faux et de ne point oser dire quelque chose de vrai Cic ron tait pourtant un orateur. Longtemps avant lui, Thucydide avait crit: La plupart des hommes tiennent pour la chose la plus ais e la recherche du vrai, et ils sont toujours pr ts accepter la premi re tradition venue; mais on fera bien de s'en fier aux preuves que j'ai donn es, tout insuffisantes qu'elles sont, plut t que d'ajouter foi ce qu'ont dit dans leurs chants des po tes enclins l'exag ration, ou dans leurs r cits des crivains plus dispos s plaire aux lecteurs qu' leur dire la v rit . Vingt-trois si cles se sont coul s depuis Thucydide, et la m thode rigoureuse de cet historien n'a repris quelque faveur que de notre temps...